C’est à la sueur de leur front que les colons ont défriché ce territoire pour y bâtir une nouvelle vie. En hommage à ces hommes et ces femmes qui ont trimé dur pour transformer les contreforts des Appalaches en terres agricoles, je propose de redonner temporairement à cette friche la fonction qui a fait ses beaux jours, celle d’un lieu nourricier. Je compte ainsi y faire la fenaison, de la même manière que ceux qui l’ont défriché : manuellement, avec faux, fourche et râteau. Un hommage physique aux cultivateurs d’autrefois, pour éveiller notre conscience d’aujourd’hui.
Pendant plusieurs jours, Mériol Lehmann a fait «Les foins», une performance agricole et artistique, qui a mené à une oeuvre vidéo présentée en galerie. Sous l'apparence sobre des longues séquences filmées tantôt du sol, tantôt du ciel avec un drone, se cache une planification longuement réfléchie des angles de vue, des lignes des andains et du contour de la surface à faucher.
L'oeuvre intègre une dimension sonore très habile: la captation rapprochée du souffle de l'artiste et du bruit de la faux se superpose au son ambiant de la friche où l'on ressent presque la chaleur et l'orage et où se mêlent les chants d'oiseaux et les bruits furtifs des véhicules sur la route.
Dominique Laquerre, commissaire
La friche est une portion de territoire dont l’exploitation humaine a été abandonnée et qui est laissée à elle-même. L’expression «laissé en friche» évoque un état transitoire et un déclassement. Qualifiées de terres «de peu de valeur» les friches forment pourtant une proportion significative des paysages des environs de Victoriaville : terres accidentées et plissées par le choc tectonique qui a vu naître les Appalaches; modestes terres de roches négligées par les agriculteurs dotés de machines toujours plus grosses et performantes. La désaffection de ces terres est accompagnée d’un appauvrissement du tissu social. Toutefois, les choses tendent à changer justement parce ces terres sont propices à l’expérimentation d’autres manières de travailler aujourd’hui avec le territoire.
En processus de ré-ensauvagement, la friche est un paysage emblématique des défis auxquels l’humain fait face pour la transformation de son rapport au vivant et de sa manière d’habiter le monde. Si on percevait la friche autrement que comme un lopin improductif, chaotique et muet en attente d’être exploité on y découvrirait un phénoménal havre de biodiversité, un formidable laboratoire du vivant que nos sens et notre intellect commencent à peine à explorer. C’est ce que ce projet veut amorcer en posant sur les friches environnantes les regards croisés d’artistes, de penseurs et d’acteurs du milieu.
Dominique Laquerre, commissaire