De nos champs s’élèvent poussières (2024), l’installation photographique de Mériol Lehmann, se penche sur l’érosion des sols arables des basses-terres du Saint-Laurent. Les images captées depuis le ciel montrent toutes de la machinerie à l’œuvre, mais c’est bien le milieu qu’elles ensemencent et labourent qui en est le sujet véritable. Ces champs qui semblent s’étendre à l’infini, Lehmann les visite depuis plusieurs années. En plus du titre de chacune des photographies, des cartes satellitaires d’une couleur rougeâtre apportent des indices sur le lieu où elles ont été prises. Il ne faudra pas s’étonner de leur pixellisation puisque ce n’est pas une « image » claire du sol qu’elles doivent transmettre, mais une quantité d’informations, des données, sur sa productivité. Autrement dit, ce n’est pas à l’œil humain qu’elles s’adressent, mais à d’autres machines.
— Josianne Poirier, directrice artistique de la Fondation Grantham
En 2019, on apprenait que les champs de la Montérégie, région voisine du Centre-du-Québec où se situe la Fondation Grantham, subissaient une perte de hauteur de deux centimètres chaque année. Sachant que l’épaisseur moyenne de la couche de terre noire était d’un mètre, l’annonce avait de quoi effrayer : si aucun changement n’était fait, d’ici cinquante ans, il ne serait plus possible de cultiver des aliments dans la zone considérée comme le garde-manger du Québec. Titulaire de la chaire de recherche en conservation et restauration des sols organiques à l’Université Laval, Jean Caron pointait deux facteurs principaux pour expliquer le phénomène : la décomposition microbienne et l’érosion éolienne. 
Ayant passé son enfance sur une ferme maraîchère et consacrant une bonne part de son travail aux transformations qui ont marqué la vie agricole québécoise depuis les années 1950, Mériol Lehmann fait de l’enjeu de la disparition des terres le cœur de l’installation De nos champs s’élèvent poussières. Les six photographies de grand format, les cartes satellitaires et le texte qui la constituent présentent un aperçu de l’activité de champs de la Montérégie et de Lanaudière. De cet ensemble émerge, sans jugement, mais avec une certaine urgence politique, la question de savoir comment concilier le besoin de nourrir des populations grandissantes et majoritairement urbaines avec une agriculture sensible aux écosystèmes complexes dans laquelle elle s’inscrit.
— Josianne Poirier, directrice artistique de la Fondation Grantham
J’ai des souvenirs vivaces de mon père arrêtant le tracteur au milieu des labours pour en descendre et prendre la terre entre ses mains. Sur sa ferme en régie biologique, il a une approche écosystémique. Sol, végétaux, animaux : tous les vivants méritent d’être considérés avec égard, chacun ayant son rôle à jouer pour maintenir l’équilibre. Les vaches laitières apportent la fumure requise au développement des champs sans recourir aux engrais chimiques. Les rotations de cultures fournissent les céréales destinées à l’alimentation du troupeau tout en régénérant les prairies fourragères. 
À partir des années 1950, la ruralité québécoise est transformée en profondeur par le passage d’une agriculture de subsistance au régime agricole productiviste, notamment en raison de politiques étatiques qui soutiennent activement ce changement. Avec optimisme, les agriculteurs et agricultrices de l’époque fondent l’espoir que la prospérité amenée par de nouvelles méthodes agronomiques remplacera un mode de vie marqué par les durs labeurs. 
Ancrée dans l’extractivisme et la pensée scientifique, l’agriculture productiviste s’inscrit dans un paradigme où la terre apparaît davantage comme une ressource. Le recours aux engrais chimiques augmente les rendements et les pesticides contrôlent les ravageurs et les adventices. Des cartes satellitaires détaillées permettent de guider les tracteurs par GPS et de programmer les machines pour modifier les doses de semences et d’intrants biochimiques en continu selon les données recueillies. La science et la technologie des oligopoles agroindustriels, qui exercent une influence considérable sur le secteur agricole mondial, offrent de réguler la nature pour avoir des sources alimentaires stables et rentables. Les monocultures propres à ce régime impliquent cependant un labour annuel qui fragilise les champs en dénudant la terre. La disparition des haies et l’agrandissement des parcelles, nécessaires en raison de la taille de la machinerie, accentuent l’érosion et contribuent à la chute de la biodiversité.
Dorénavant, plusieurs agriculteurs et agricultrices considèrent d’autres façons de faire. En agriculture régénératrice, cultures de couverture, engrais verts, plantation de haies et bandes riveraines sont toutes des solutions qui visent à ne pas diminuer la production d’aliments tout en respectant les écosystèmes et en protégeant la pérennité du sol arable.